Des ailes pour les Tourbières

Engagé en 2016, le programme « Des ailes pour les tourbières du Jura vise à constituer un réseau de sites et d’acteurs de la gestion en vue de la préservation des tourbières à Rhopalocères menacés du massif jurassien et des corridors qui les relient.

Ce programme s’inscrit dans la déclinaison régionale du Plan national d’actions 2018-2028 en faveur des papillons de jour « agir pour la préservation de nos lépidoptères patrimoniaux » (HOUARD & JAULIN, 2018) et du Plan d’action en faveur des tourbières de Franche-Comté (MONCORGÉ & GISBERT, 2016).

Ce programme cible plus particulièrement 4 espèces de papillons de jour menacées associées aux tourbières : le Fadet des tourbières, le Cuivré de la Bistorte, le Nacré de la Canneberge et le Mélibée.

Un programme partenarial

Au moment d’écrire cet article, le programme regroupe le Conservatoire botanique national de Franche- Comté – Observatoire régional des Invertébrés (CBNFC-ORI), les amis de la réserve naturelle du lac de Remoray (ARNLR), le Laboratoire d’Ecologie Alpine (LECA), le Conservatoire d’espaces naturels de Franche-Comté (CEN- FC), l'EPAGE Haut-Doubs Haute-Loue (EPAGE HDHL), le Parc naturel régional du Haut–Jura (PnrHJ) et avec l'appui de l’appui des services de l’Etat, notamment la DDT 25 et la DREAL Bourgogne- Franche-Comté.

Les différentes actions ont pu être mises en œuvre grâce à la participation des financements Natura 2000 (FEADER et Etat), de la Région Bourgogne-Franche-Comté et de l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée et Corse.

Le contexte

En France, outre-mer inclus, on recense entre 275000 et 300000 ha de tourbières (JULVE & MULLER in JOOSTENS et al., 2017). Le massif jurassien franco-suisse constitue l’une des zones d’Europe de l’Ouest les plus riches en tourbières. 498 tourbières, pour une superficie de 5353 ha sont recensées sur l’ensemble du massif, dont 289 en Franche-Comté, soit 2 921 ha (juin 2019, S. MONCORGÉ, comm. pers.). Malgré le substrat calcaire du massif, globalement perméable, l’héritage des plissements et des modelés issus des dernières glaciations permet l’installation de tourbières réparties en chapelets suivant les vallées et dépressions.

Les exploitations de la tourbe et les drainages modifient grandement leur fonctionnement hydrologique, entraînant une évolution des habitats pouvant être préjudiciable au maintien de certaines espèces ultra-spécialisées à la vie dans ces milieux particu- liers. Face à ce constat, les gestionnaires de milieux naturels du massif mènent depuis plusieurs années de vastes actions de restauration de ces milieux, avec notamment un projet partenarial d’ampleur, le LIFE « Tourbières du Jura » (CALVAR et al., 2019).

Parmi les espèces patrimoniales remarquables qu’abritent les tourbières, plusieurs espèces de lépidoptères diurnes tyrphophiles (voire tyrphobiontes), quatre sont ciblées par le présent programme : le Fadet des tourbières Coenonympha tullia, le Cuivré de la Bistorte Lycaena helle, le Nacré de la Canneberge Boloria aquilonaris et le Mélibée Coenonympha hero.

Les populations de ces espèces font partie des plus fragiles et menacées de France, avec une responsabilité importante du massif pour leur préservation (ESSAYAN et al., 2013). Malgré les actions de gestions des sites menées depuis 20 ans, les suivis des naturalistes montrent un déclin de ces populations. La bibliographie sur leurs exigences écologiques est riche, mais très rarement basée sur des massifs similaires au Jura, certains traits s’avérant très différents.

De la connaissance à la gestion

Afin d’adapter la connaissance au contexte local et de compléter les mesures à prendre pour la préservation des quatre espèces cibles, les scientifiques et les gestionnaires unissent leurs efforts de manière à :

• qualifier précisément leur répartition et leurs effectifs ;
• mieux cerner leurs exigences écologiques, en particulier celles liées à la composition et à la structure de la végétation ;
• analyser l’impact des mesures de gestion sur leurs populations ;
• caractériser les échanges entre les populations ;
• définir le réseau des stations et des sites-relais pour la conservation durable de leurs populations ;
• préconiser des actions pour la connexion entre les tourbières jurassiennes.

Déclinaison des actions

Réaliser des bilans stationnels et rechercher de nouvelles stations

Les bilans stationnels consistent à prospecter les stations historiques pour vérifier la présence de l’espèce. Ces prospections s’accompagnent d’une estimation des atteintes que subissent les stations. Des compléments sont parfois réalisés afin de rechercher de nouvelles stations en ciblant les habitats favorables. Des inventaires menés sur des moliniaies du premier plateau du Doubs ont par exemple permis de découvrir de nouveaux sites de reproduction du Mélibée.
Les documents produits sont ensuite transmis aux gestionnaires d’espaces naturels pour les informer de la situation du papillon concerné sur leur territoire avec une précision à l’échelle stationnelle.

Protéger les stations orphelines

Compte tenu de l’enjeu de préservation de ces espèces, le CBNFC-ORI en lien avec le CEN Franche-Comté identifie les stations « orphelines », situées en dehors d’un site géré et sans animateur territorial prêt à intervenir. Le CEN prend alors contact avec les propriétaires des parcelles dans l’objectif de mettre en place des mesures favorables au maintien de l’espèce concernée.

Plusieurs conventions ont été signées avec des communes et des propriétaires dans le cadre de cette action. C’est par exemple le cas de la station de Fadet des tourbières de Grand’Combe-Châteleu (25). Cela peut également se traduire par l’acquisition de parcelles, comme celles abritant le Mélibée sur les communes de Boujailles (25) ou de Chaux-les-Passavant (25) donnant des bases solides pour la préservation durable de stations de papillons menacés.

Caractériser les exigences écologiques

Diverses études ont été réalisées afin de mieux cerner les exigences écologiques du Mélibée, du Fadet des tourbières, du Cuivré de la Bistorte et du Nacré de la Canneberge. Trois types de protocoles ont été mis en œuvre pour caractériser les biotopes des imagos et des larves entre 2014 et 2018.

Études des biotopes

L’étude des biotopes des imagos a été réalisée pour chacune des quatre espèces (GREFFIER, 2014 ; POUSSIN, 2016 ; HERLEDAN, 2017 ; CORNUEL-WUILLERMOZ, 2018). La structure des habitats a été caractérisée sur un échantillon de stations. Plusieurs paramètres ont été relevés comme la hauteur de végétation, la densité de plantes-hôtes ou encore le profil de la lisière. Des relevés phytosociologiques effectués sur les sites retenus ont défini les groupements végétaux favorables au maintien des quatre espèces concernées.
Ces études ont permis d’améliorer les connaissances par rapport aux conditions nécessaires au maintien des populations in situ des quatre espèces. Les résultats obtenus ont été valorisés dans des fiches techniques d’aide à la gestion et l’entretien des biotopes de ces quatre papillons.

Ces documents sont disponibles en version papier ou informatique.

Fiches techniques

Études autoécologiques du Fadet des tourbières

En 2017, une étude par capture-marquage-recapture (CMR) d’une des populations les plus importantes de la vallée du Drugeon a été déployée dans un site de 5 hectares.

En plus des paramètres démographiques décrits, ce protocole a permis d’observer la répartition des imagos dans le temps et l’espace, en lien avec les quatre modes de gestion pratiqués (fauche tardive, pâturage équin extensif, alternance fauche/pâture, sans-intervention). Ces données ont été complétées en 2021 en s’intéressant à plusieurs populations très proches (1 km) du site Natura 2000 « Vallons de la Drésine et de la Bonavette » afin d’alimenter la réflexion sur la dispersion et la connectivité nécessaire.

Le suivi comportemental d’une vingtaine d’imagos a également été mené. Un approfondissement a été réalisé en 2018, avec notamment le déploiement d’un protocole expérimen- tal visant à étudier la relation entre les densités d’imagos et celles des chenilles (BERNARD et al., 2018). En parallèle, l’élevage de quelques individus a apporté des informations inédites sur l’écologie larvaire, la chrysalidation et le comportement post-émergence de l’imago.

Analyse des résultats des suivis standardisés

Les résultats des suivis engagés notamment sur le Fadet des tourbières dans la vallée du Drugeon depuis près de 20 ans sont disponibles et viennent alimenter les réflexions. Une analyse statistique des données des 10 sites suivis depuis 1999 (10 km de transect) a été réalisée en 2019 en collaboration avec l’institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie (Université d’Aix-Marseille). Des tendances à la baisse, statistiquement significatives, sont mises en évidence pour plus de la moitié des sites (CLAUDE et al., 2019).

Caractériser les échanges entre les populations

287 échantillons (non létaux) ont été collectés dans 50 secteurs en 2018, sur les 4 espèces cibles. L’analyse génétique des échantillons a été conduite par le Laboratoire d’Écologie Alpine (LECA) de Grenoble.

Les premiers résultats indiquent une structuration des quatre espèces qui découle de leur biologie (dépendance à un milieu particulier, faible capacité de dispersion) et reflète la fragmentation de leur habitat (Després et al., 2019a et 2019b).

Les analyses ont été affinées et les données génétiques croisées avec des données paysagères très locales (couverture du sol, microtopographie, exposition...) afin de déterminer quels sont les éléments paysagers qui favorisent ou au contraire freinent ou empêchent totalement les déplacements d’individus (barrières à la dispersion). C’est l’objectif de la thèse, menée par Caroline Kebaili, qui a débuté en 2020 sur l’« Impact de l’Homme et du climat sur l’histoire démographique de 4 espèces emblématiques de papillons des tourbières de Franche-Comté, et implications pour la gestion conservatoire » portée par le PNRHJ et LECA.
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Cette connaissance fine est indispensable pour prendre des mesures de gestion adaptée à chacune des espèces, afin de maintenir un fonctionnement dynamique en métapopulations à l’échelle de la région.

Plusieurs éléments restent encore à affiner

• Les mutations des pratiques agricoles, leurs effets sur l’organisation des fauches, peuvent-ils en partie expliquer une baisse de la connectivité ?
• Comment traduire les informations acquises par des actions de gestion des milieux naturels s’inscrivant dans les changements climatiques qui toucheront la montagne jurassienne ?

Remerciements

L’ensemble des partenaires du programme tiennent à remercier Yann BAILLET, Flavia APE, pour son apport à la réflexion globale du projet, et l’ensemble des collecteurs de données.

Ces textes sont issus de l'article publié en 2019 dans la revue scientifique Bourgogne-Franche-Comté Nature, n°30, p : 56-60.
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Publications d'articles

En 2019, un article a été publié dans la catégorie 'Programme régional' de la revue Bourgogne-Franche-Comté Nature :

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A destination du grand public, un article de vulgarisation a également été publié 'Questions de Nature' de plusieurs journaux de Presse quotidienne régionale (Le Bien Public, La Journal de Saône-et-Loire et le Journal du Centre), en partenariat avec l'Association Bourgogne-Franche-Comté Nature :

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Projet parallèle :

Fadet des tourbières

Deux posters de sensibilisation ont également été développés dans le cadre d'un autre projet de conservation consacré au Fadet des Tourbières, mené par le CBNFC-ORI grâce au soutien de la Fondation Ensemble. 
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