Insectes & invertébrés
Nehalennia speciosa (Charpentier, 1840)
Déesse précieuse
Famille : Coenagrionidae Genre : Nehalennia Groupe : Odonata
ID taxon : 2651e
Statut de protection
-
Niveau de menace (critères UICN)
En France
CR
En Franche-Comté
CR
Rareté régionale
très rare
Directive habitat
-
Déterminant ZNIEFF
Bourgogne-Franche-Comté
Indigénat
indigène
Catégorie d'espèce exotique
-
Dernière mise à jour des textes :
27/01/2025
- Répartition nationale
- Répartition régionale
- Ecologie
- Conservation
- Remarques
Nehalennia speciosa est une espèce eurasiatique dont l'aire de répartition s'étend du Japon à l'Europe centrale. Des populations importantes existent en Lettonie (IVINSKIS & RIMSAITE, 2008), en Pologne (BERNARD & WILDERMUTH, 2005), en Autriche (cinq stations isolées les unes des autres), et, pour l'Allemagne, en Bavière du sud (KUHN & BÃRZSÃNY, 1998) et dans le Bade-Wurtemberg (six stations isolées les unes des autres). Cette espèce est considérée comme éteinte aux Pays-Bas, en Belgique et au Grand-Duché de Luxembourg (VAN DER WEIDE, 2002 ; GOFFART et al., 2006 ; PROESS, 2006 ; BERNARD & WILDERMUTH, 2005). Elle survit par contre toujours dans le nord-est de l'Italie (BOUDOT et al., 2009). En Suisse, l'espèce est connue depuis longtemps dans la moitié est du pays (cantons de Thurgovie et de Zurich). Elle est retrouvée dans ce dernier canton, dont elle était considérée comme disparue, en 2008 (site Internet du Centre suisse de cartographie de la faune, http://www2.unine.ch/cscf). Dans l'ouest de la Suisse, elle a été découverte en 2007 dans le canton de Neuchâtel, dans la réserve naturelle de la Grande Cariçaie sur les bords du lac de Neuchâtel (MONNERAT, 2008). C'est de cette population que serait originaire la femelle observée en 2011 dans le canton de Fribourg, à une vingtaine de kilomètres de là (MONNERAT, comm. pers.).
En France, elle est citée de la région de Chambéry par SELYS (1874), ce qui a été repris et abusivement amplifié par MARTIN (1931), ce dernier la prétendant « assez commune en juin ». Un seul individu, dans la collection d'Eugène Foudras (1783-1859), atteste de cette présence, mais sans précision sur la localité d'origine (GRAND, 1990). En 1987, DOMMANGET indique que l'espèce serait « à rechercher dans l'est du pays (Alsace, Lorraine, Franche-Comté et bien sûr les Alpes) ». Plus récemment, DOMMANGET et al. (2009) la considèrent comme éteinte, mais ces auteurs précisent également qu'elle serait tout de même à rechercher du fait de sa discrétion. Sa redécouverte dans le sud du Jura date de 2009 (DEHONDT, MORA et FERREZ, 2010). Elle a été recherchée depuis ailleurs dans le département, notamment en 2010, où une dizaine de sites ont été prospectés, mais sans succès (RIBLET et MORA, 2010).
La tourbière dans laquelle l’espèce a été découverte dans le Jura couvre une surface totale d’un peu moins de cinq hectares à moins de 700 mètres d’altitude. Elle est principalement occupée par une formation dominée par des espèces graminoïdes à feuilles fines et de faible taille. De nombreuses buttes de sphaignes néoformées et des gouilles, issues de pratiques anciennes de tourbage ou non, parsèment ce marais. Le groupement végétal dominant y est l’Eriophoro - Caricetum lasiocarpae (Vollmar) Passarge 1964 (alliance du Caricion lasiocarpae Vanden Berghen in Lebrun, Noirfalise, Heinemann et Vanden Berghen 1949). Nehalennia speciosa n’y fréquente quasiment que les abords d’une gouille qui, si elle est la plus vaste du site, ne s’étend que sur quelques dizaines de m2. Le fond en est occupé comme celui des autres gouilles par un groupement du Scorpidio scorpioidis - Caricetum limosae Osvald 1923 (alliance du Rhynchosporion albae Koch 1926) bien typé dans une lame d’eau d’une dizaine de centimètres. Ce milieu est remarquablement similaire à celui décrit pour les larves par HEIDEMANN et SEIDENBUCH (2002), puis par WILDERMUTH (2013) pour la Suisse. Ce dernier décrit des prairies à laîches inondées et des mares de marais de transition envahies par des laîches, aux eaux oligotrophes acides à neutres ; elles sont mésotrophes bicarbonatées calciques au bord du lac de Neuchâtel (GANDER, 2010), généralement dominées par des laîches à feuilles étroites, sous lesquelles se rencontrent quelques plantes vasculaires à larges feuilles (Menyanthes trifoliata, Potentilla palustris et formes naines de Nymphaea alba et de Phragmites australis) ; sous l'eau se développent les bryophytes et les utriculaires, et en particulier Utricularia intermedia et U. minor. La tourbière qui l'abrite dans le Jura a fait l’objet de travaux de restauration du milieu naturel. Il semble que les travaux hydrauliques aient eu un effet considérable sur le niveau de l’eau dans la gouille occupée par l’espèce, qui était à sec en juillet 2008, année dont le printemps avait été assez pluvieux, alors qu’elle était bien en eau en juillet 2009, malgré un printemps caractérisé par des précipitations très peu importantes. La constance du niveau d’eau semble être un paramètre important pour la présence de l’espèce (HEIDEMANN et SEIDENBUCH, 2002) ; ceux-ci peuvent avoir une profondeur qui fluctue de 3 à 30 cm, mais ne doivent jamais s'assécher (WILDERMUTH, 2013). Elle occupe, comme en Suisse, un habitat secondaire, la gouille s'étant formée suite à l'extraction de la tourbe. Il est probable que le caractère flottant du radeau de végétation qui l'abrite, en lui permettant d'adopter le niveau de la nappe en suivant ses fluctuations inter-annuelles, garantissent les microhabitats larvaires. La majorité des larves effectuent leur cycle de développement en un an ; 10 à 20 % d’entre elles le font en deux ans (JACQUOT, 2012). Il est donc probable que dans nos régions l'espèce soit liée aux tourbières limnogènes, ce qui est le cas de la tourbière jurassienne, comme l'a démontré son étude hydrologique.
Selon l’UICN (http://iucnredlist.org), l’espèce est, en 2006, considérée comme quasi menacée (statut NT) au niveau mondial. En effet, même si son aire de répartition est très grande en Eurasie, ses populations déclinent et elle est déjà éteinte dans de nombreuses régions, ce qui a contribué à fortement fragmenter son aire. Dans la récente Liste Rouge européenne, l’espèce est également classée NT pour la totalité de l’Europe géographique, mais acquiert le statut VU (Vulnérable) dans l’ensemble des 27 pays membres de la Communauté Européenne (KALKMAN et al., 2009). Son aire d’occurrence actuelle en Europe est jugée être inférieure à 2000 km². Son biotope subit le drainage des zones humides et les effets du changement climatique. Le nombre de grosses populations connues est faible (entre 20 et 30 dans toute l’Europe). Actuellement, seules quatre autres espèces d’Odonates présentes en France métropolitaine figurent sur la liste rouge mondiale de l’UICN. L'extrême sténoécie de cette espèce la condamne à une grande rareté. Sa sensibilité aux perturbations de son milieu est grande : toute mesure aggravant l'amplitude des variations du niveau de l'eau d'habitats larvaires déjà perturbés par les étés chauds et secs et l'atterrissement naturel des bas-marais, comme les travaux de drainage et l'apport d'eaux ayant une trop forte charge organique peut lui être fatale (WILDERMUTH, 2013). Ses capacités de dispersion semblent faibles : la plus forte distance observée semblant être de l'ordre d'une vingtaine de kilomètres (MONNERAT, comm. pers.), mais WILDERMUTH (2013) note que sur les berges du lac de Neuchâtel la reconquête de milieux favorables se restreint à une cinquantaine de mètres. Cependant, MIKO?AJCZUK (2017) indique qu'une portion non négligeable des individus s'envole à des hauteurs importantes, essentiellement au début de la période de vol et en fin d'après-midi (18 heures), afin d'éviter la prédation par d'autres Odonates. Les tremblants qui abritent l'espèce sont très sensibles au piétinement ; en effet, la plupart des individus émergents se trouvent à moins d'une dizaine de centimètres au-dessus de l'eau et le fait de marcher sur ou à proximité de ces tremblants peut provoquer leur enfoncement sur plusieurs centimètres et la noyade des individus inaptes au vol (DOUCET et JACQUOT, 2012). Il est impératif que la fréquentation de sa station soit réduite au strict minimum, le protocole du suivi effectué par l'animateur du plan de conservation en sa faveur ayant lui-même été ajusté pour limiter le nombre des visites. Nous remercions par avance tous les lecteurs de ne pas chercher à savoir où se trouve la station et encore moins à s’y rendre. La station n’est à l’heure actuelle menacée que par la curiosité des odonatologues, qu’ils soient collectionneurs ou non. La pauvreté génétique liée à l'isolement de cette population ne semble, d'après une étude portant sur les populations de Pologne et de Lituanie, pas problématique pour la conservation de cette espèce (BERNARD et SCHMITT, 2010) ; la condition essentielle au maintien est donc bien de préserver le biotope sur sa station (FRANZONI, JACQUOT, DUFLO et MORA, 2012).
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